LA NON-DEDUCTIBILITE DE LA CREANCE DE RESTITUTION DE L’ACTIF SUCCESSORAL EN CAS DE QUASI USUFRUIT SUR UNE SOMME D’ARGENT

Publié le janvier 16, 2024
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La Loi de finance 2024, adoptée le 21 décembre 2023, se donne pour objectif de lutter contre certaines pratiques dites d’optimisation fiscale.

La pratique du quasi-usufruit portant sur une somme d’argent, lequel ouvre droit à une créance de restitution au profit des héritiers, et qui venait donc s’imputer sur le passif successoral est concerné en premier lieu.

Qu’est-ce-qu’un quasi-usufruit sur une somme d’argent?

Rappelons tout d’abord que l’usus est le droit d’user et de jouir de la chose.

L’usufruit, qui avec la nue-propriété constitue la pleine propriété, est donc un droit réel, c’est-à-dire portant sur une chose, qui permet d’user, donc de consommer ou de jouir de la chose sur laquelle il porte. L’usufruit et la nue-propriété forme la toute propriété du bien, à savoir l’entière propriété.

Lorsqu’il porte sur un bien immobilier, l’on comprend facilement que le droit d’user de la chose est celui d’y habiter, ou bien à défaut de percevoir les loyers de la location.

Mais lorsque l’usufruit porte sur un bien fongible, comme une somme d’argent, qui se consomme par son simple usage, il est plus délicat de percevoir ce concept du droit d’user sans en être plein et entier propriétaire. C’est pourtant un principe de droit civil classique issu de l’article 587 du Code Civil, et qui n’a pas été remis en question.

C’est ce que l’on nomme un quasi-usufruit. Le quasi-usufruitier va alors pouvoir user des biens, en l’occurrence se servir de la somme d’argent sur lequel le quasi-usufruit porte, à charge pour lui de la restituer, ou plutôt de la restituer en même valeur et même quantité.

Il se crée alors une dette du quasi-usufruitier envers le nu-propriétaire, que l’on nomme créance de restitution.

S’est alors développée la pratique des donations de sommes d’argent avec réserve d’usufruit au profit du donateur. Celui-ci donnait par anticipation une somme de X euros, tout en se gardant la possibilité d’utiliser ces-dits X euros, à charge pour lui et au moment de son décès, de « restituer » ces X euros aux nus-propriétaires.

La défaveur du fisc envers la déductibilité de la créance de restitution de l’actif successoral

Cette créance de restitution, due par l’usufruitier, était jusqu’alors déduite de l’actif successoral lors de son décès.

En effet, la somme d’argent sur laquelle portait le quasi-usufruit n’appartenait plus au moment du décès à l’usufruitier, du fait même de son décès. Cette somme était pour ainsi dire sortie de son patrimoine.

Elle était donc ainsi considérée comme une dette certaine de l’usufruitier, et était portée au passif de la succession, à raison de sa valeur au jour de la restitution.

Cela permettait alors de diminuer l’actif successoral, et donc le montant des droits dus par les héritiers d’autant, puisque les droits de succession sont calculés sur l’actif net successoral.

Cela constituait-il une optimisation fiscale ?

C’est dans une optique clairement fiscal que la loi de finance 2024 est venue mettre le ola.

En effet, lors de la donation de la somme d’argent avec réserve de l’usufruit, les droits de donations sont liquidés sur ce qui est à ce moment donné, c’est-à-dire, sur la valeur de la seule nue-propriété de ces sommes d’argent.

Or, lors du décès de l’usufruitier, c’est la pleine propriété de la somme qui était déduite puisque la somme avait été remplacée par la créance de restitution, donc bien la valeur de l’usufruit de la somme et de sa nue-propriété.

L’on déduisait alors la pleine propriété de la créance alors même que les droits de donation n’avaient été perçus que sur la valeur en usufruit.

Cela explique donc que l’Administration fiscale s’opposait déjà à cette pratique. Il était du reste conseillé de rédiger une convention de quasi-usufruit, dont le coût était non tarifé mais conventionnellement fixé et qui donnait lieu à la formalité de l’enregistrement pour obtenir date certaine. Un avis du Comité de l’abus de droit fiscal avait été également rendu sur la question le 11 mai 2023, preuve d’un intérêt défavorable du fisc.

A partir du 1er janvier 2024 : le principe de la non déductibilité de la créance de restitution d’un quasi-usufruit portant sur une somme d’argent

Pouvait-donc en déduire que cette pratique allait jusqu’à l’abus de droit ? Une donation d’une chose consomptible qui ne s’exercerait en réalité qu’au décès de l’usufruitier tout en lui ménageant la faculté de s’en servir et d’en user de son vivant, tout en réduisant l’actif net successoral. La déductibilité était trop belle.

L’amendement du 24 novembre 2023 duquel provient le nouvel article 794 bis du Code Général des impôts, consacrant cette non-déductibilité, illustre parfaitement la volonté dissuasive du gouvernement contre cette pratique, considérée comme principalement motivée par un objectif d’optimisation fiscale.

Ainsi donc, la loi de finance 2024 consacre le principe de la non-déductibilité de la créance de restitution en cas de quasi-usufruit portant sur une somme d’argent.

La créance de restitution ci-dessus évoquée ne peut donc plus être déduite du passif successoral du quasi-usufruitier.

Ainsi donc les droits de mutation par décès seront dorénavant calculés sur l’actif net successoral, sans en déduire le montant de la créance de restitution.

Cette règle est cependant écartée en cas de réserve d’usufruit portant sur un prix de vente.

C’est alors la question inverse qui se pose.

Si les droits de succession sont calculés sur la valeur en pleine propriété de la créance de restitution, sans la déduire au passif successoral, quid des droits de donation que les nus propriétaires ont déjà réglés lors de la donation avec réserve d’usufruit ?

Magnanime, l’Administration fiscale accepte que les droits alors réglés par eux soient déduits des droits qu’ils doivent supporter au titre des droits de succession.

Cependant, si ceux-ci s’avèrent plus élevés que les droits alors dus au moment du décès du quasi-usufruitier, il n’y aura aucune restitution par l’Administration fiscale au profit du nu-propriétaire.

L’on peut donc imaginer sans difficulté que les conventions de quasi-usufruit portant sur des sommes d’argent vont se raréfier…

Catégories Droit de la famille