La sous-traitance de la rédaction des actes notariés est-elle légale ?
La question de la possibilité, et donc de la légalité, d’avoir recours pour un notaire à un sous-traitant en général, et plus particulièrement pour l’activité de rédaction des actes est récurrente, et la réponse nébuleuse.
Bien peu de notaires semblent en effet savoir si cette activité est ou non possible.
Rappelons d’abord que la sous-traitance consiste pour un notaire à confier à un prestataire externe une partie des prestations à réaliser pour ses clients
Qu’il s’agisse de secrétariat, ou bien de comptabilité, la sous-traitance est depuis longtemps pratiquée dans bien des études, sans que cela ne soulève aucune difficulté.
Mais qu’en est-il de la rédaction des actes, qui est le cœur du métier des notaires ?
Car au-delà de l’aspect rédactionnel pur, il s’agit d’apporter une analyse juridique précise et complexe pour veiller à la sécurité juridique de la transaction, et que le notaire, en sa qualité d’officier ministériel, est garant de la force probante et exécutoire des actes.
En réalité, peu de notaires rédigent eux même l’intégralité des actes reçus en leurs études.
Quotidiennement, des clercs ou des notaires assistants, tous diplômés et formés, rédigent les actes qu’ils soumettent ensuite au notaire. L’analyse juridique est faite par le notaire en amont de la rédaction, et une vérification en aval, sur le projet d’acte du collaborateur. Et avec la généralisation du télétravail consécutive au covid 19, les études, mais aussi les mentalités, se sont tout à fait adaptées au fait que cette tâche puisse être réalisée à l’extérieur de l’étude.
Alors, quelles difficultés peuvent être soulevées par la rédaction des actes par un sous-traitant diplômé, sous le contrôle du notaire ?
Cette question est devenue d’autant plus importante ces dernières années, car le recours à la sous-traitance pour certains notaires est indispensable au fonctionnement de leurs études.
Les atouts de la sous-traitance
S’interroger sur les avantages que présente la sous-traitance conduit à un exposé préliminaire sur les principes de base que cette sous-traitance doit respecter :
- Le respect des valeurs communes du notariat par le prestataire
- Le respect du RGPD et la non collecte des données
- L’engagement absolu au secret professionnel via des clauses de confidentialité extrêmement strictes
- La qualification du prestataire qui doit être reconnue par un diplôme
Bien évidemment, certaines tâches, au-delà de la réception des clients et des actes, ne pourront jamais être réalisées par un prestataire, telles que les opérations d’interrogation des fichiers FICOBA et FICOVIE, les demandes nécessitant une clé REAL, les demandes au service de la publicité foncière, la validation des dépôts Télé@ctes, les virements SPF, DGFIP, banques et clients, l’ADSN, …
Mais en ce qui concerne les autres tâches, celles réalisées par les collaborateurs, leur externalisation présente des avantages importants.
Pour les notaires nouvellement installés
Le monde du notariat n’est pas homogène, et nier l’aide que peut apporter à certains la sous-traitance, c’est nier cette réalité.
Certains travaillent dans des études d’une certaine ampleur avec nombre de salariés, d’autres ne fonctionnent qu’avec peu ou pas de collaborateur(s).
Un avis n° 21-A-04 du 28 avril 2021 de l’Autorité de la concurrence rapportait que l’interdiction de la sous-traitance « pourrait constituer un frein au développement sur le marché des nouveaux notaires installés, dès lors [que] ceux-ci pourraient ne pas être en mesure, en raison de leur volume d’affaires naissant, d’embaucher un salarié à temps plein ou à temps partiel, alors qu’ils ont de réels besoins de sous-traiter, ponctuellement ou régulièrement, un certain nombre de tâches. »
La sous-traitance est en réalité précieuse au fonctionnement de ces études, notamment au début, lors de l’installation. Et l’installation des nouveaux notaires, malgré la période incertaine de reprise économique en matière immobilière, se poursuit.
Autant faut-il alors donner la possibilité à ces notaires de débuter leur activité sans engendrer des coûts de fonctionnement qu’ils ne sont pas certains, dès le début de leur activité, d’absorber.
L’avantage majeur de la sous-traitance est ici de fournir une solution aux études qui ne sauraient passer immédiatement par un contrat de travail pour obtenir des rédacteurs, en raison du coût du contrat salarial et des charges sociales.
En cas de surcroît d’activité
Mais la sous-traitance permet également de s’adapter à la fluctuation des dossiers, car la sous-traitance, à la différence du salariat, est modulable. Il suffit de faire appel ou de ne pas faire appel au prestataire, dossier par dossier, au cas par cas. Elle est notamment une aide importante en cas de surcroit de travail, en cas de charge d’activité sur une très courte période. Cela peut être notamment le cas lorsqu’un programme immobilier doit sortir, avec un grand nombre de dossiers à signer sur un ou deux mois.
De la même manière, lorsqu’un salarié ne peut plus être présent dans l’étude, arrêt maladie, congé maternité, là encore, la sous-traitance permet de pallier cette absence temporaire, sans surcharger les autres collaborateurs.
Pour favoriser la reprise du travail des collaborateurs du notariat
Pour les collaborateurs eux-mêmes, ouvrir la possibilité de la sous-traitance, c’est donner une opportunité de maintien dans le notariat.
En réalité, la sous-traitance est également un atout pour les collaborateurs, surtout en période de crise.
Certaines études se sont trouvées dans l’obligation de procéder à des licenciements économiques, et le contexte n’est pas favorable à une vague de recrutement dans les études. Lorsqu’une étude a dû se séparer d’un collaborateur, qu’en est-il de ses possibilités d’espérer retrouver un poste rapidement, à une période encore incertaine ?
Un collaborateur formé pourrait plus aisément reprendre une activité en proposant ses services en sous-traitance, à un moment où l’on ne recrute pas dans les études. La reprise d’une activité professionnelle pourrait donc être facilitée pour ceux qui viennent d’être licenciés.
D’autant plus que ces anciens collaborateurs sont formés, diplômés, qu’ils présentent les mêmes qualifications qu’ils travaillent au sein d’une étude, ou en dehors, et que la valeur de ces diplômes est indiscutable. Sans parler de fuite des cerveaux, ces collaborateurs que le notariat a formés sont souvent débauchés et quittent le notariat, à défaut de retrouver rapidement un poste au sein de la communauté notariale.
La volonté d’encadrement du CSN
Il est donc évident voire nécessaire que la sous-traitance se développe, bon gré mal gré.
Le Conseil National du Notariat, conscient de cette évolution, s’est attaché à encadrer cette sous-traitance.
Un guide de bonne pratique de la mutualisation et de la sous-traitance a été élaboré suite à l’assemblée générale du Conseil Supérieur du Notariat des 2 et 3 juillet 2019, avec la volonté de déterminer : « ce qui est défendu, ce qui peut être recommandé et ce qui peut être admis ».
Cet encadrement est effectivement justifié par trois enjeux fondamentaux :
- Prévenir les risques de violation du secret professionnel, qui demeure général et absolu,
- Préserver la spécificité et donc la force de l’acte authentique,
- Sécuriser la protection des données, dans le contexte du déploiement du règlement européen entré en vigueur en 2018.
Deux pistes ont été envisagées pour contrôler la sous-traitance.
1- La procédure de labellisation et d’agrément
D’une part, le CSN souhaitait la mise en place d’une procédure d’agrément des sous-traitants.
Le guide de bonne pratique imposait en effet que les sous-traitants soient labellisés ETIC, qu’ils souscrivent à une charte éthique du numérique notarial, et qu’ils se conforment au règlement général sur la protection des données.
Concernant la procédure de labellisation, qui était relativement fastidieuse, la question a été tranchée par le Conseil d’État, dans un arrêt du 5 mai 2021, qui rappelle que la procédure dite de labellisation des sous-traitants n’est prévue par aucune disposition législative ou réglementaire en vigueur. Il en résulte que le Conseil supérieur du notariat n’était pas compétent pour prendre de telles dispositions normatives.
2- La liste des tâches pouvant être sous-traitées
Et d’autre part le guide listait les tâches pouvant être sous-traitées, en interdisant les « activités cœur de métier », notamment la rédaction des actes notariés.
La sous-traitance était alors admise pour les activités de standard, formalités préalables et postérieures, comptabilité, expertises immobilières, archivages et numérisations des dossiers.
Les activités de réception étaient bien évidemment interdites, mais également la rédaction des actes et la gestion locative.
Or l’avis de l’Autorité de la Concurrence n° 23-A-10 du 7 juillet 2023 relatif à la liberté d’installation des notaires et à une proposition de carte révisée des zones d’implantation, assortie de recommandations sur le rythme de création de nouveaux offices notariaux, se montre très prudent quant à cet encadrement :
« Les restrictions applicables à la sous-traitance, telles que prévues actuellement dans le guide pratique de la sous-traitance et de la mutualisation et telles qu’envisagées par le CSN dans le cadre de la réforme de la déontologie notariale sont susceptibles d’instaurer des barrières injustifiées à l’entrée pour les professionnels nouvellement installés ».
Ou en sommes-nous ? Le Code de déontologie des notaires et l’arrêté du 29 janvier 2024
Dans son article 2.2.1, l’arrêté du 29 janvier 2024 définit désormais la sous-traitance :
« Au sens du présent article, le sous-traitant est une personne physique ou morale qui se voit confier, sous sa responsabilité, l’exécution de tâches qui forment l’un des maillons de la chaîne de production de l’office. Il est susceptible de collecter des données, de les intégrer et de les retraiter dans son propre système d’information.
Certains prestataires de services ne sauraient être considérés comme des sous-traitants. Ils couvrent des aspects de la vie de l’entreprise sans aucun rapport avec le cœur de métier de l’entreprise cliente – tel est le cas, par exemple, des prestataires de services de nettoyage, de restauration.
De même, ne peut être qualifiée de sous-traitant une personne physique exerçant dans l’office sous quelque forme sociale que ce soit (intérimaire, indépendant en société ou non). Celle-ci ne fait donc pas partie des collaborateurs de l’office, mais vient exercer in situ, sous l’autorité du notaire, une activité de renfort au moyen des stricts outils de production de l’office. Elle pourrait néanmoins être amenée à manier dans ce cadre des données confidentielles de l’office, lesquelles, à aucun moment, ne devraient être externalisées.
Il ne peut sous-traiter aucune des prestations nécessitant son identification, ni la rédaction de ses actes, ni leur réception.
Il ne peut davantage sous-traiter :
– la réception des clients ;
– le conseil ;
– la consultation, en vue de la signature d’un acte ou dans le cadre de la gestion de patrimoine ;
– la négociation immobilière ;
– la gestion locative.
Le notaire peut néanmoins, dans le respect de clauses spécifiques de confidentialité et de prérequis assurant le respect du secret professionnel associés à l’opération concernée, sous-traiter certaines tâches administratives liées à l’accomplissement de sa mission, telles que le standard téléphonique, les formalités ne nécessitant pas l’identification du notaire ou de ses collaborateurs, l’archivage physique ou numérique. »
Il convient donc désormais de distinguer :
- La sous-traitance en ce qui concerne les activités non cœur de métier, laquelle est permise
- La sous-traitance en ce qui concerne les activité cœur de métier, telle que la rédaction des actes, qui est interdite
- Mais ces dernières activités peuvent être réalisées, non pas par un sous-traitant, mais par des indépendants ou des intérimaires.
Il ne s’agit donc pas là de déléguer ces missions, mais de les faire réaliser par « une personne physique exerçant dans l’office sous quelque forme sociale que ce soit (intérimaire, indépendant en société ou non). Celle-ci ne fait donc pas partie des collaborateurs de l’office, mais vient exercer in situ, sous l’autorité du notaire, une activité de renfort au moyen des stricts outils de production de l’office. »
La question désormais va donc être celle de l’interprétation de cette notion, ce qui va rendre encore plus nébuleuse pour les notaires la possibilité de sous-traiter les activités cœur de métier.
D’une part, car rappelons le, la sous-traitance est le fait de confier la prestation à un prestataire extérieur à l’étude. Or, que recoupe cette notion « d’indépendant en société ». Il s’agira bien d’une personne extérieure à l’étude qui effectue une prestation dévolue à son client. Quand est-ce qu’une personne exerçant au sein d’une société sera considérée comme un sous-traitant ou comme un indépendant en société ? La différence sera-elle dans le rapport de subordination ? Quel lien contractuel sera permis, et quel lien contractuel entre le prestataire et le notaire ne le sera pas?
La mission est également limitée à un « renfort », mais n’est-ce-pas le cas d’un sous-traitant qui n’intervient qu’occasionnellement, dossier par dossier ? Le but de la sous-traitance, nous l’avons vu ci-dessus, n’étant évidemment pas de devenir le rédacteur exclusif d’une seule étude.
En allant plus loin, les notaires prendront ils le risque désormais de travailler avec une autre catégorie de prestataire qu’un intérimaire ? Si tel est le cas, la seule alternative pour les notaires en besoin de rédacteurs serait-il d’avoir recours à un intérimaire ? Et la seule opportunité pour les personnes souhaitant continuer à travailler dans le notariat mais qui ne parviennent pas à être recrutées de se placer sous le statut quelque peu désagréable d’intérimaire, bien que l’on reconnaisse une certaine valeur à leurs diplômes?
Enfin, quant à la volonté d’imposer une activité in situ, alors même que le télétravail des salariés, et donc la possibilité de travailler en dehors de l’étude sans transfert de données et en toute sécurité numérique est désormais acquise, cette exigence laisse songeur.
Fort à parier que l’ensemble de ces interrogations soulèveront des débats au sein même du notariat, et limiteront drastiquement le recours à une aide dont pourtant le notariat a grand besoin. Peut être faudra-t-il attendre une nouvelle intervention du Conseil d’Etat pour comprendre « ce qui est défendu, ce qui peut être recommandé et ce qui peut être admis ».